Dans un grand supermarché de la banlieue de Beyrouth, des dizaines de clients se pressent avec fébrilité dans les rayons. Dans leurs caddies, ils jettent de grands sacs de riz, du sucre, des sacs de lait en poudre, des haricots et d’autres légumes secs. Mais une fois à la caisse, c’est avec gentillesse qu’on leur demande de se limiter à un ou deux articles par produit.
Cette scène, commune à plusieurs supermarchés, pourrait illustrer la situation et l’angoisse dans laquelle se trouvent les familles, face à une inflation galopante dans un Liban en crise. Avant une nouvelle envolée du dollar, qui avait dépassé jeudi la barre des 10 000 livres pour retomber hier, selon certaines sources, autour de 8 000 LL, les familles, en ce début de mois, se ruent dans les supermarchés pour constituer des stocks. Face à cet assaut, les supermarchés, craignant des pénuries, sont contraints d’empêcher les achats en grande quantité.
La ruée des consommateurs sur leurs étalages dernièrement, véritable baromètre de l’inflation, et le manque de produits sur le marché, en raison de la crise du dollar, poussent désormais les commerces à écouler leur marchandise avec parcimonie. « Chers clients, nous sommes désolés de ne pas pouvoir vendre à chacun d’entre vous plus d’un article de chaque produit, afin que le plus grand nombre de personnes puissent profiter de nos stocks », peut-on lire à l’entrée de l’établissement. À la caisse, un homme se présente avec deux paquets de riz et deux de sucre, mais la décision du supermarché est irrévocable et le client est contraint de repartir avec un sac de chaque produit.
Âgée d’une cinquantaine d’années, une mère de famille parcourt les rayons. Le téléphone vissé à l’oreille, elle répète à sa belle-sœur, à l’autre bout du fil, le prix de certaines boîtes de conserve et de produits laitiers. Tout, dans ses mots et intonations, dit le choc qu’elle encaisse. « J’ai acheté un sac de lentilles hier dans un autre supermarché. Le prix affiché était de 6 600 L.L. Une fois à la caisse, les lentilles coûtaient le double. J’ai payé 13 400 L.L. le paquet mais je ne m’en suis rendue compte qu’une fois l’ensemble de la facture réglé. C’est de la mauvaise foi », s’indigne cette cliente qui souhaite garder l’anonymat. « Les prix changent tous les jours, en fonction du dollar. Les conserves sont chères. Quant aux détergents, même ceux qui sont fabriqués ici sont hors de prix. Je ne sais pas comment on va continuer à vivre », lance cette femme qui confie avoir « changé de manière de consommer ». « Je recherche les produits les moins chers maintenant et je n’achète que le strict nécessaire », indique-t-elle. Comme cette femme, beaucoup de Libanais ont pris l’habitude de faire le tour des supermarchés pour essayer de voir lequel a les meilleurs prix. D’autres se sont rabattus sur les épiceries.L’Indice mensuel des prix à la consommation (IPC), calculé par l’Administration centrale de la statistique (ACS), a atteint 172,06 points en mai dernier, soit +6,94 % par rapport à avril et +56,53 % en glissement annuel. Dans un rapport publié sur son compte Twitter, l’Institut de consultation et de recherches (Consultation and Research Institute-CRI) indique en outre que le prix du lait en poudre a augmenté, en mai 2020, de 69 % par rapport à mai 2019, celui du liquide vaisselle de 73 %, et celui du dentifrice de 76 %. Toujours selon les chiffres fournis par le CRI, les prix de la charcuterie ont connu une hausse de 89 % par rapport à mai 2019 et ceux du fromage ont augmenté de 98 %. La viande de bœuf a augmenté, en mai 2020, de 111 % par rapport à la même période en 2019, les haricots secs de 119 % et le bourghoul (blé concassé) de 120 %.
Quelques grammes de viande
Cette inflation sans précédent a poussé certains supermarchés et bouchers à fermer momentanément leurs portes, en raison de leur incapacité à renflouer leurs stocks. Un boucher qui opère dans un quartier populaire de Beyrouth confie à L’OLJ que de nombreuses personnes viennent désormais acheter de la viande hachée pour « 3 000 ou 5 000 L.L., afin de donner un peu de goût à leurs plats ».
À Hadath (Mont-Liban), un épicier a décidé de fermer plus tôt que d’habitude afin de préserver son stock. « Avant, je travaillais tous les jours jusqu’à 23h. Maintenant, je ferme ma boutique à 15h, pour ne pas épuiser ma marchandise. Mon dépôt est vide. Les fournisseurs ne me donnent pas tout ce que je demande », souligne ce commerçant, sous le couvert de l’anonymat. « J’ai arrêté de vendre des cigarettes il y a quatre mois. Le fournisseur voulait être payé en dollars et il est tellement difficile de s’en procurer », ajoute-t-il.
Selon lui, en l’espace de quelques mois, « les prix ont augmenté de 100 %, voire plus ». « Un litre d’eau de javel se vendait à 1 500 L.L. Il est aujourd’hui à 3 000 L.L. Le sac de lentilles est passé de 3 500 à 10 000 L.L. Je vendais le paquet de spaghetti à 2 000. Il est facturé à 5 000 L.L. maintenant, explique-t-il. Les boissons gazeuses sont passées de 1 750 à 3 000 L.L., quant aux boissons énergisantes, leur prix a augmenté de 2 500 à 9 750 L.L. ».
Ruée sur les pharmacies
Si les supermarchés sont pris d’assaut par les consommateurs dernièrement, il en va de même pour les pharmacies, de nombreuses personnes craignant que les médicaments dont ils ont besoin ne soient bientôt plus disponibles au Liban. « Il n’y a pas de pénurie en vue et nous ne manquons d’aucun médicament, rassure toutefois une pharmacienne beyrouthine qui demande à rester anonyme. Le problème, c’est la peur irraisonnée de certains clients qui risquent de vider nos stocks en tentant de s’approvisionner en médicaments », indique cette pharmacienne qui affirme vendre désormais une boîte de chaque médicament par personne, « car les fournisseurs ne donnent pas les quantités demandées ».
Même son de cloche dans les parapharmacies, où certains produits, comme les couches pour bébés, sont vendus au compte-gouttes, d’autant plus que leurs prix ont flambé ces dernières semaines. « Le grand paquet de couches pour bébés fabriquées à l’étranger est à 75 000 L.L. J’avais trouvé une marque locale à 14 000, mais elle est passée à 20 000 L.L. maintenant », déplore le gérant d’un établissement à Beyrouth.
Sandra, 39 ans et mère d’un petit garçon de deux ans, a de plus en plus de mal à lui acheter des couches à des prix raisonnables. « Il y a quelques semaines, j’ai commencé à acheter des couches fabriquées au Liban car elles sont moins chères et de même qualité que celles importées. Mais je viens d’apprendre que même cette marque-là risque de devenir plus chère », dit-elle à L’OLJ.Si une partie de la population s’est lancée dans une frénésie d’achats d’aliments, de peur de pénuries ou d’une nouvelle flambée des prix, une autre n’a tout simplement plus les moyens d’acheter ne serait-ce que les produits de première nécessité. Depuis quelques mois, de plus en plus de parents d’enfants en bas âge ont du mal à acheter couches et lait pour bébés et lancent sur des groupes de troc et d’entraide sur les réseaux sociaux des appels afin de pouvoir se les procurer. Signe indicateur du désespoir de certaines familles, la vidéo diffusée jeudi sur les réseaux sociaux montrant un homme braquant une pharmacie de la capitale et obligeant le pharmacien à lui remettre en plus de l’argent de la caisse, de gros paquets de couches pour nouveau-né, tout en marmonnant : « L’argent passe de main en main. C’est ce qu’ils veulent dans ce pays. »
Dans un grand supermarché de la banlieue de Beyrouth, des dizaines de clients se pressent avec fébrilité dans les rayons. Dans leurs caddies, ils jettent de grands sacs de riz, du sucre, des sacs de lait en poudre, des haricots et d’autres légumes secs. Mais une fois à la caisse, c’est avec gentillesse qu’on leur demande de se limiter à un ou deux articles par produit....
July 04, 2020 at 04:08AM
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Certains achètent 3 000 LL de viande « pour donner un peu de goût à leurs plats » - L'Orient-Le Jour
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Viande
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